•                  Prologue.


    Lacie courrait sans s'arrêter, elle serra ses petits poings potelés et se mordit les lèvres pour s'empêcher de pleurer.

    La fumée qui s'échappait par grosses volutes du mur de flammes l'étouffait. La petite fille se retournait quand même, une dernière fois, afin de graver ce paysage dans sa mémoire.
    Le village qui surplombait la colline était en feu. Elle avait dévalé le sentier de pierres malgré ses pieds nus. Des arbres orangés commençaient à s'enflammer à côté du village.
    La couleur flamboyante du brasier ne faisait qu'accentuer les tons mordorés du paysage et le ciel grisâtre l'assombrissait.
    A la fois excitée et effrayée, Lacie reprenait sa course effrénée en direction de la forêt de Feuilles Mortes, où personne n'allait depuis des années.
    La petite fille s'enfonçait encore plus profondément dans ce gouffre sombre, sans voir où elle allait.
    Le chemin qu'elle suivait déboucha sur un petit sentier lumineux.
    Les yeux de l'enfant s'écarquillèrent tandis qu'elle découvrait qu'un entrelacs de ronces et d'arbres recourbés constituait un dôme sur plusieurs mètres, couvrant un petit sentier de terre bien entretenu. Quelques branches écartées laissaient passer de la lumière.
    Pourtant, personne n'était venu ici depuis des dizaines d'années...
    Lacie poursuivait sa route et comprit pourquoi le nom donné à cet endroit était la Forêt de Feuilles Mortes, au-delà du dôme, des centaines de feuilles jaunes et orange tombaient des arbres.
    Ébahie par ce spectacle, la petite fille n'avait pas remarqué qu'une belle femme aux cheveux blancs avait sauté d'un des arbres et l'attendait d'un air décidé.






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  •           

          Chapitre 1 : les Maudits


    Obscure était recroquevillée sous ses maigres couvertures.
    Quelques planches mal assemblées de la vieille cabane qui lui servait de logis laissaient filtrer de la lumière. Le petit tas de paille sur lequel elle dormait ne ressemblait plus à grand chose.
    Elle se frotta la tête, ce n'était pas la première fois qu'elle faisait ce rêve, cette petite fille qui s'échappait d'un enfer de flammes et cette Maudite aux yeux rouges qui attendait l'enfant. Le prénom Lacie lui revenait sans cesse, mais lui était inconnu.
    Obscure se caressa machinalement l'épaule, un pentagramme noir et luisant était peint dessus. Mais quelque chose attirait son regard.
    Un petit paquet de feuilles mortes était posé sur le sol, comme dans son rêve. Elle préféra l'ignorer, songeant à la faute de son imagination.
    La jeune fille se releva de sa couche et alla s'agenouiller près d'une planche branlante pour la soulever. Elle fouilla à tâtons dans la minuscule trappe et en ressortit quelques pommes ainsi qu'une cape de velours noir et un petit sac en toile. La vieille cabane commença à s'ébranler, des gamins lançaient des pierres pour s'amuser.
    Obscure serrait les dents pour résister à la tentation de riposter et se redressait. Elle enfilait silencieusement la cape, dissimulant ses cheveux rouge cerise et ses loques d'habits. Elle avait volé la cape à des voyageurs peu soigneux.
    La petite cabane tanguait dangereusement tandis que les gamins poussaient des cris de satisfaction.
    Cette fois-ci, Obscure les ignora et sortit discrètement par par la charnière qui lui servait de fenêtre. Un vent glacial la fit frissonner. La cabane était un peu enfoncée dans la forêt, en retrait du village.
    La jeune fille observait les enfants qui continuaient à s'acharner sur sa cabane en allant sur le chemin. Sa cape noire ne la dissimulait pas, sur le gra. Le jour se levait doucement sur la forêt de pins.
    La neige craquait sous ses pieds pendant qu'elle se rapprochait du village. Quelques oiseaux posés sur les branches des pins blancs et majestueux chantaient.
    Les flocons de neige tombaient du ciel argenté tels des milliers de cristaux.
    Une fois sortie de la forêt, Obscure s'enfonça dans sa cape et baissa ses yeux jaunes aux paillettes dorées. Les portes du villages étaient grandes ouvertes, les gardes devaient assister au grand discours de la Chasse.
    Elle profita de cette occasion pour se faufiler discrètement dans le village. Les rues étaient bondées et silencieuses, seuls quelques murmures discrets se faisaient entendre. Une grande estrade était posée en plein centre et tous les habitants étaient emmitouflés dans leurs épais manteaux, l'air endormis.
     Debout sur l'estrade, un vieil homme se préparait pour son discours. Obscure se renfrogna à sa vue. Il ouvrit sa bouche endentée en même temps que ses bras que l'on devinait osseux, tous les bruits cessèrent, il commença:
     - Bonjour, chers amis. Nous sommes ici pour parler de la grande Chasse, qui se déroulera comme chaque année le 25 décembre, c'est-à-dire dans moins d'une semaine.
     La foule acquiesça bruyamment tandis qu'il continuait:
     - En temps que doyen du village, il est de mon devoir de raconter la même chose tous les ans. Les Maudits sont des monstres. Des créatures qui ne devraient pas exister. Il ne méritent pas d'êtres appelés Humains. Il porte d'ailleurs la marque des Monstres, le pentagramme !
     A chacune de ces paroles, Obscure serrait les poings. Les paillettes de ses yeux avaient disparues, laissant place à des yeux jaunes et sauvages.
     
    - Leur apparence est bien laide. Seuls leurs corps nous ressemblent, leurs yeux et leurs cheveux sont différents des autres, bien heureusement.
     Le vieil homme s'interrompit pour reprendre son souffle. La jeune fille était obligée d'assister à ce discours jusqu'à la fin pour revoir Glaciale.
     - Nous savons tous que le 25 décembre est le jour où ils sont nés, le jour où ils sont apparus sur Terre ! Et il est de notre devoir, à nous, des Humains respectables, de les chasser ce jour-là, de les traquer et de les tuer ! criait le vieillard pour ponctuer son discours.
     La foule en délires se mit à hurler de joie, des coups de feu étaient tirés en l'air. Le doyen descendit de l'estrade, satisfait de l'effet produit par son discours.
    Obscure cracha par terre et contourna les villageois. Une Maudite devait se faire discrète.

    Glaciale l'attendait devant une sombre ruelle. Elle se fondait dans la noirceur grâce à sa cape noire. Un rictus était dessiné sur son visage. Ses yeux blancs brillaient sous la cape.
    Les deux jeunes filles se saluèrent d'un hochement de tête. Elles avaient décidé de faire la route ensemble, de fuir ensembles.
     
    - Ce doyen a une prestance folle, n'est-ce pas Obscure ? ricana Glaciale qui savait que c'était la première fois que son amie assistait à ce discours. Tu as préparé tes bagages ?

     

    Obscure souleva sa cape et désigna son petit sac en toile. Glaciale souleva son capuchon, dévoilant sa longue chevelure de la couleur d'une rivière. 

    - Il me reste encore une dernière chose à faire, tu n'as qu'à m'attendre à l'entrée de la forêt de pins. dit gentiment Glaciale.
    Obscure jeta un regard interrogateur à son amie et se détourna sans prononcer un mot. Les villageois discutaient maintenant entre eux, sans faire attention à la Maudite qui se faufilait parmi eux.
    La lueur de ses yeux jaunes brillait pourtant sous la cape rouge.
    Les gardes n'étaient toujours pas à leur poste. La jeune fille passa sans encombres et retourna vers la forêt.
    Les gosses qui étaient postés devant sa bicoque lui bloquait la route, quelques armes improvisées en mains.

     
     

     

    Chapitre 1 : les Maudits


     

    Ombre luttait contre la neige qui tombait en masse du ciel gris. Le garçon tenait son capuchon pour se protéger du mieux qu'il pouvait.

    La forêt de pins dont lui avait parlé le vieux apparaissait dans son champ de vision, telle un mirage, avec les contours des arbres qui s'affaissaient sous le poids de la neige.
    De hautes herbes qui persistaient et lui rendaient le chemin encore plus difficile, était secouées par le vent dans tous les sens.
    Il progressait assez rapidement grâce à son endurance, et en une vingtaine de minutes, il était arrivé dans la forêt. Les collines qu'il avait franchi disparaissaient emportant leur végétation blanche.
    La forêt le protégeait du vent par ses grands arbres blancs. Le soleil se faisait plus fort, illuminant un peu plus les lieux. Plus loin encore, Ombre apercevait un chemin en terre, puis une vieille bicoque, cachée par des pins.
    Des cris d'enfants parvinrent à ses oreilles, ils s'amusaient à jeter des cailloux sur la sorte de cabane. Un peu inquiet, il grimpa sur un des arbres blancs pour poursuivre sa route par question de sécurité.
    Un des deux sabres qui reposaient dans leurs fourreaux se souleva de lui-même et alla se ficher dans le tronc le plus proche, si rapidement que seul un trait argenté fut visible.
     
    A son tour, le garçon plongea vers son sabre et s'y accrocha fermement puis balança ses jambes en direction d'une branche. Il ne se tenait à l'arbre qu'avec ses jambes et d'un mouvement fluide, se projeta dans les airs, pour finir debout sur la branche.
    Sur le chemin de terre, une silhouette rouge appelait son regard. Désintéressé, il préféra retourner à ses activités, et continua son manège d'arbre en arbre.
    Le jeune homme était maintenant à la sortie de la forêt, assis sur une branche d'arbre, et contemplait la scène.
    La silhouette rouge qu'il avait vue n'était autre qu'une jeune Maudite. Elle tentait d'ignorer des enfants, plus bas. Ombre observait, et s'attendait à ce qu'elle s'échappe.
     
    Mais elle restait impassible, alors que les gamins lui crachaient dessus. L'un d'eux souleva le capuchon rouge, une phrase resta suspendue à ses lèvres alors qu'il voyait les yeux jaunes se tourner lentement vers lui.
    Des feuilles mortes se mirent à tomber du ciel et virevoltèrent violemment, ballotées par le vent pour aller fouetter les visages des gamins.
    - Sorcière !
    L'air siffla. Une pierre heurta la Maudite au front. Un filet de sang coula.
    La tempête de feuilles s'intensifia, tourbillonant autour des gamin et les tailladant.
    Ombre se redressa, surprit et en colère. Les gamins hurlèrent de peur et s'enfuirent vers leur village.
    La Maudite continuait d'avancer vers la forêt tandis que le village était ameuté par les enfants.
    Ombre se pencha un peu plus. Les cheveux rouges volaient en harmonie avec le souffle du vent. Les yeux sauvages s'étaient tournés vers lui, mais la jeune fille ne semblait ni surprise, ni intéressée, elle se fichait bien de lui qui la fixait.
    Elle semblait attendre quelque chose. Mais elle ne bougeait pas quand des habitants du village se dirigeaient vers elle, furieux.
     


     

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  •          

                  Chapitre 2 : un sentiment glacial


    Les villageois se rapprochaient. Il ne restait que très peu de temps à la fille pour s'enfuir. Mais elle restait debout, sans vaciller, et fixait les villageois sans vraiment les voir. Ses cheveux rouges flottaient au gré du vent.
    Ombre fronça les sourcils, saisit un bout de tissus et attacha ses cheveux bleu nuit à l'arrache. 
    Même s'il n'en avait pas envie, le garçon avait l'impression que quelque chose le forçait à agir. Il souleva un pan de son kimono et en sortit un grand sabre noir.
    Les villageois n'étaient plus qu'à quelques mètres d'elle.
    Obscure ne bougeait toujours pas. Elle attendait encore son amie, elle ne voulait plus vivre seule, elle ne voulait plus vivre comme le leur imposent les humains.
    Elle avait décidé de se relever pour ne plus jamais abandonner, et elle venait de se trouver une raison de vivre.
    Un des habitants qui voulait la faire réagir s'approcha doucement vers elle, en restant sur ses gardes. En constatant que la fille se fichait éperdument d'eux, il fit signe aux autres de le rejoindre et sortit une épée de son fourreau. Lentement, il la tendit vers la gorge de la Maudite et scrutait aux alentours pour déceler un quelconque piège. Mais rien ne se produisit.
    Prit d'un sentiment de sureté soudaine, Ombre s'avança brutalement vers elle.
    Cette fois-ci, Ombre sauta de l'arbre et créa la surprise parmi les villageois, leur arrachant quelques cris de stupeur. Il en profita pour se glisser vers la fille et la saisir par la taille.
    Elle sursauta et se débattit quand elle comprit que la garçon voulait l'emmener loin du village.
    Obscure attendait Glaciale, elle avait décidé de désobéir aux principes d'un Maudit, elle ne serait plus seule désormais. Un peu déstabilisé, le garçon la lâcha et la laissa s'enfuir vers le village. Sans trop comprendre ce qu'il se passait, il la suivit.
    Dans sa course, la cape rouge se soulevait, laissant apparaître les pieds nus qui martelaient le sol.
    Les deux gardes étaient postés aux portes et armés de fusils. Obscure ne leur jeta pas même un regard. Les deux hommes vêtus de noir pointèrent leurs armes dans sa direction. Agacé, Ombre brandit ses deux sabres et les lança en l'air.
    Les deux lames noires se redressèrent et plongèrent vers les deux gardes, prêts à tirer. Tout se passa en quelques secondes.
    Les deux gardes étaient étendus sur une marre de sang, la poitrine transpercée par les sabres du garçon. Le jeune homme se dirigea vers les deux corps inertes et s'appuya sur l'un d'entre eux. D'un coup sec et froid, il retira un premier sabre.
    Il fit de même avec le second. La Maudite courrait toujours. Ombre essuya rapidement ses armes et les rengaina.
    Il n'y avait plus personne dans les rues, les habitants étaient tous à la poursuite de la Maudite et de l'inconnu qui la suivait.
    L'estrade du grand discours était encore posé en plein centre de la place. Obscure la dépassa et poursuivit sa route sans problèmes. Elle prit un petit virage et déboula sur une seconde place, plus petite.
    Au centre de celle-ci était disposée une grande fontaine gelée. La jeune fille s'arrêta brusquement, et faillit tomber.
    Ombre stoppa sa course, se méfiant de la Maudite. Il crut apercevoir des gens dans leurs hautes maisons l'espace d'un instant. Les villageois ne les poursuivaient plus, Ombre ne percevait plus les bruit de pas ni les cris de guerre.
    Des feuilles mortes se mettaient à tomber du ciel, plus nombreuses et plus violentes que les fois d'avant. Dans le tourbillon qu'elles formaient, il distingua un vieil homme dégarni qui riait aux éclats. Un rire sadique. Ce vieux était surement sénile. 
     

    Ombre se rapprocha prudemment.
    Obscure serrait ses poings violemment mais ses yeux restèrent secs. Les deux yeux jaunes dont les paillettes dorées avaient disparues, étaient réduits à deux fentes. Une grande confusion et une atroce sensation de peur s'étaient emparées d'elle. Sa colère emporta tout.

     

     

    Chapitre 2 : un sentiment glacial

    De grandes ronces en feu surgirent du sol. La neige ne les éteignaient pas et semblait, au contraire, les attiser. Le sourire narquois du vieillard s'était effacé pour laisser place à une expression de terreur. Les plantes enflammées allaient dans sa direction pour le lacérer de coups.
    Ombre frémit de rage. Le corps d'une fille était jeté dans la neige, de la manière d'un détritus. Elle était couverte de sang. Une touffe de cheveux bleus emmêlés recouvrait son visage. La Maudite gémissait de douleur, le garçon ne comprenait pas ce qu'elle tentait de dire.
    Le jeune homme se dirigea lentement vers elle et l'appuya sur la fontaine. Des larmes ruisselaient sur son visage presque défiguré. Elle lui murmura une phrase.
    Celle-ci le mit hors de lui. Une rage folle s'emparait peu à peu de lui.
    Ombre fut interrompu par des hurlements. Les feuilles mortes continuaient de tomber et il s'y était presque habitué tandis qu'elles commençaient à recouvrir le sol. La Maudite qu'il poursuivait était paisiblement endormie sur un tas de feuilles, alors que plus loin, le vieillard qu'il avait aperçut poussait des hurlements et était roué de coups par des ronces. Le garçon eut un petit rire d'angoisse et attrapa la Maudite sur ses épaules.
    Son sourire s'effaça rapidement quand il alla voir le vieil homme. Les coups et les feuilles s'étaient arrêtés.
    Ombre reposa la fille et s'accroupit en face du chef du village qui lui lançait un regard implorant. Une petite pancarte était fièrement agrafée sur son épaisse veste noire indiquant son nom.
    Le jeune homme défit une partie de son kimono, dévoilant ainsi son cou. L'humain pâlit d'angoisse. 
    La lame d'ébène plongea et s'enfonça dans le corps du vieil homme.
    C'était finit.


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  •         Chapitre 3: Les armures noires et les chevaux hurlants


    Ombre serra les dents. Une nouvelle personne était morte pour un simple caprice des villageois qui se prétendaient respectables. Ses yeux restèrent secs, il regarda tour à tour les deux Maudites. L'une était endormie, l'autre morte.
    Il ne voulait pas annoncer la sombre nouvelle à la fille aux cheveux rouges. Son espoir s'était envolé.
    Le destin des Maudits est de mourir après tout. Ils le savent tous depuis leur naissance.
    Le garçon mit cette pensée de côté, comme toujours, et s'agenouilla devant la défunte.
    Il la prit dans ses bras, se releva et la jeta vers la fontaine.

    Quelques secondes plus tard, il se retournait vers Obscure et la saisit par la taille. Un dernière fois, il contempla la fontaine, avant de s'enfuir par les toits.

    La belle Glaciale avait prit possession de la fontaine, et siégeait au milieu de la place du village. Des dizaines d'épées entouraient le corps de glace et la protégeaient. Ses cheveux soyeux semblaient bercés par le vent, avec la cape qui dévoilait un pantalon et un tee-shirt déchirés.
    Un sourire vainqueur reposait sur son visage innocent, elle avait trouvé sa place en quelques sortes, bien qu'elle soit morte.

    ***

    Des villageois s'étaient cachés dans des coins de rues, un tout un groupe attendait à la sortie du village. Ombre eut un petit rire sombre et survola les habitations.
    Il avait prit soin d'emporter la carte du doyen. Et la lança sur l'un des humains avant de s'enfuir rapidement.
    Quelques-uns, plus rapides, tirèrent une salve de coups de feu, mais aucune des balles n'atteignit le garçon.
    Le vent soufflait de plus en plus fort, et Ombre souffla un peu en apercevant la forêt qui le couvrirait. Le kimono noir ne le réchauffait guère en ce mois de décembre mais les Maudits se sont habitués au froid, à force de voyager en plein hiver durant plusieurs jours.

    Obscure dormait toujours profondément dans les bras de Ombre. Ses rêves la menait une fois de plus vers la petite Lacie aux cheveux blonds.

    ***

    L'enfant était assise au bord d'un précipice qui tombait sur la mer agitée. Elle observait calmement les hautes vagues qui se brisaient sur les rochers pointus et imposants. Quelques mouettes dansaient dans le ciel bleu azur et piaillaient longuement. L'enfant arracha une pissenlit sur le lit de verdure et souffla sur la fleur blanche, les fines graines s'envolèrent et se laissèrent bercer par le souffle du vent
    Un grand bateau transperça majestueusement la brume, au loin. Le cœur de Lacie se mit à battre la chamade. Elle cligna plusieurs fois des yeux, les bateaux étaient devenus rares par ici.
    Elle se leva précipitamment, en manquant de trébucher et tomber de la falaise, mais ne s'en soucia guère.

    -Eh Lacie !

    Cette fois-ci, la petite tomba à la renverse et s'écroula dans l'herbe verte. La voix qui l'avait interpellée était à la fois douce et grave. Elle se releva, un peu penaude, et dépoussiéra vivement sa tunique verte. C'était Cyrha, une enfant, tout comme Lacie, sa peau brune brillait sous le soleil et ses longues tresses noires flottaient dans les airs. Ses beaux yeux noirs pétillèrent de malice et elle s'écria:

    - Toujours en train d'admirer ces pirates ?
    Lacie sourit, ravie qu'on évoque son sujet préféré et rétorqua d'une grosse voix:
    - Un jour, tu verras que je serais une grande pirate !

    Les deux filles ricanèrent ensemble et se dirigèrent vers la pointe de la falaise, c'est de ce côté qu'on peut le mieux observer la mer. Les grands oiseaux blancs qui volaient au-dessus des plaines se mirent à piailler et s'enfuirent plus loin encore.
    Aucunes des deux enfants ne se rendait compte de ce phénomène, et continuèrent gaiment leur route vers le pic. Le bateau se rapprochait de plus en plus.
    Un nuage gris vint s'interposer entre le soleil et les deux amies, comme pour les avertir d'un danger qu'elles ne voyaient pas.
    Le sol se mit à trembler violemment suivit de hennissements assourdissant. Elles sursautèrent de frayeur.
    Lacie et Cyrha jetèrent un coup d'œil vers la Cité, cachée par des haies d'arbres orangés, tout ce boucan venait de là-bas.
    Des milliers de soldats en armures noires dévalaient la colline sur leurs chevaux hurlants. Elle échangèrent un bref regard et, toutes deux, se précipitèrent vers la colline mordorée sans perdre de temps, affolées.
    Dans sa course, Lacie perdit ses sandales en cuir qu'elle n'avait pas eu le temps de fermer et s'arracha la peau sur des ronces saillantes. Elle s'écrasa dans un tas d'herbes et hurla de douleur.

    Des coups de feu résonnèrent dans leurs tympans et dans les secondes qui suivirent, la colline s'enflamma, créant un nuage de fumée qui assombrit de plus belle le paysage.
    Quelques assaillants s'enfuyaient encore de la forteresse en flammes.
    Cyrha aida son amie à se relever.
    Elles n'avaient ni vu ni entendu quoique ce soit, et même si elles n'auraient rien pu faire de toute façon, elles s'en voulaient.
    Les joues de Lacie s'enflammèrent de colère et elle poussa un juron en accélérant son allure et elle distança rapidement Cyrha, alors que sa blessure la faisait souffrir au plus haut point, mais peu lui importait, c'était à peine si elle comprenait ce qu'il se passait.
    Elle ferma les yeux et utilisa ses dernières ressources.

    Des nouveaux soldats sortaient de la cité, l'un d'entre eux repéra les deux petites filles.
    Cyrha, qui était un peu plus âgée et qui avait un sens de l'observation plus développé remarqua le soldat dans son armure noir corbeau qui les fixait et qui se dirigeait vers elles.
    Elle redoubla à son tour d'efforts pour rattraper son amie qui courrait aveuglément en tête et se placer devant elle.

    Soudainement, quelque chose vint lui attraper les pieds et elle bascula en avant. Un filet fut jeté sur le corps et resserré sur elle, en s'enfonçant dans la belle peau brune. Sous ses yeux impuissants, elle vit Lacie se faire percuter par le cheval du soldat qui les observait auparavant.

    ***

    Obscure poussa un gémissement et se débattit dans les bras d'Ombre qui l'avait transporté . Elle revint à elle en heurtant la neige qui lui glaça les membres.
    Le garçon la regardait, ses joues était rouges et ses lèvres bleues. Il ne s'intéressait pas à elle et continua nonchalamment son chemin.
    Sans comprendre quoique ce soit elle observa les alentours. Le village et la forêt de pins n'étaient nulle part, et Glaciale n'était pas avec elle.
    Il n'y avait que le garçon, des montagnes et des arbres, le tout, couvert de neige.

    Elle tenta de parler, mais seuls quelques bégaiements sortirent de sa bouche. Son corps se mit à trembler tandis que des images revenaient à elles. Même si la jeune fille ne parvenait pas à trier les évènements entres eux. Qu'est-ce qui faisait partit de son rêve ?

    Sans se retourner, Ombre prononça d'un voix grave:
    - Ton amie est morte.

    Les paillettes dorées se mirent à danser comme des feux follets dans ses yeux jaunes et sauvages. Une larme brûlante coula le long de sa joue.


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    • Chapitre 4: La Lune et l'Obscurité
       

      Obscure se releva calmement, son visage ne montrait aucune expression.
      Le voile noir de la nuit commençait à s'étendre sur les plaines enneigées, reprenant ses droits sur la nature, malgré quelques éclaboussures dorées qui résistaient.
      Quelques herbes qui persistaient sous les couches de neige se pliaient et luttaient contre l'assaut du vent destructeur.

      La jeune fille frémit. Ses lèvres se mirent à trembler sans qu'elle s'en aperçoive.
      La morsure du froid vint l'attaquer de plein fouet, comme si des centaines de crocs se plantaient dans sa chair.
      Un goût amère s'imposait dans sa bouche, ses yeux lui faisaient mal. Cette vague sensation de douleur emplissait tout son corps.

      Ombre se décida enfin à se retourner. Des larmes coulaient à flots sur les joues roses sans que la fille ne bouge. Ses yeux restaient figés sans pour autant regarder quelque chose.
      Sans broncher, le garçon se détourna de la scène et se remit en marche, vers des montagnes.
      Obscure le suivait, muette. Ses yeux étaient gonflés et rouges, mais le vent rabattait ses cheveux écarlates sur son visage.
      Les deux Maudits poursuivaient leur route sans prononcer un mot.
      Un chemin escarpé s'offrait à eux quand ils arrivèrent au pied de la montagne. Agacée, la jeune fille replia sa cape sur elle-même, se couvrant du mieux qu'elle pouvait.

      Le garçon qui marchait devant elle gardait une main sur l'étui de son sabre et jetait des petits coups d'œil furtifs aux alentours sans s'arrêter de marcher.
      L'éclat de la lune leur éclairait la route, la rendant plus facile.
      Obscure continuait sa marche de zombie et suivait le garçon sans regarder où elle allait.
      Un bruit de frottement résonna dans ses tympans et un éclair noir frôla la fille.

      Le sabre se planta dans la roche dure.
      Ombre s'approcha d'elle et la saisit une fois de plus par la taille. La portant comme un ballotin, il s'élança vers son arme et s'en servit pour se projeter dans les airs.
      Le garçon se redressa souplement et atterrit sur ses pieds, en haut de la falaise, et déposa la jeune fille.
      Les deux Maudits s'ignorèrent.

      Obscure préférait contempler le paysage. La clarté de la lune était dirigée vers un étang qui trônait paisiblement au milieu d'arbres. Des petites vaguelettes courraient sur l'eau translucide. Mais elle ne reflétait pourtant pas le rond de lumière.
      Les hululements d'un hiboux retentirent, perçant le calme de l'endroit.
      Pour la première fois depuis leur rencontre, Ombre examina la jeune fille.

      Il s'approcha d'Obscure et souleva la cape rouge, dévoilant le pentagramme noir. Des rayons de lumières surgirent de nulle part, inondant le tatouage qui luisait sur l'épaule frêle.
      La fille sursauta et arracha la main posée sur son épaule d'un coup sec.
      Le garçon lui fit un petit sourire, sans en penser autant, et la saisit par la poigne, l'entrainant vers l'étang.
      Il plongea, accompagné de l'autre Maudite.

      La jeune fille ressentit un choc en entrant en contact avec l'eau glaciale. Ombre l'attirait encore plus profondément tandis qu'elle luttait pour ne pas être aspirée vers les profondeurs.
      Un cercle de fer entoura son cou, l'étouffant et l'empêchant de remonter à la surface.
      Elle portait les mains à son cou sans réussir à faire quoique ce soit. L'eau la rejetait.
      L'étau se resserrait sur sa gorge.
      Obscure hoqueta et cracha toute sa réserve d'oxygène. Ses muscles se rétractaient, lui faisaient mal. Elle basculait.
      La jeune fille ne sentait plus ses jambes, comme paralysées.
      La douce lueur de la lune la narguait tandis que la vue de la Maudite se brouillait.
      La douleur s'estompait lentement.
      Des mains la saisirent. L'attirant inexorablement vers le fond.

      […]

      Ombre tirait Obscure vers lui. Ses bras fendaient l'eau rapidement, il prenait de la vitesse.
      Un tourbillon se dressa devant lui.
      Il s'engouffra dedans sans aucune hésitation et se fit aspirer.
      La pression était forte. Le garçon rattrapa de justesse la main de la Maudite qui s'échappait.
      D'un coup, l'eau s'évapora, laissant passer les deux Maudits. Ombre serra la fille avant de se laisser tomber. La chute ne dura qu'une poignée de secondes, avant qu'ils ne s'écroulent sur un tas de coussins.

      Trempé, le garçon se releva. Obscure était étalée sur la pile de coussins, les cheveux écarlate, emmêlés, recouvraient son visage.
      Une fille surgit brusquement de derrière une porte, accompagné d'une petite fille et d'un garçon.

      - Alyss ! Pourquoi as-tu fait ça ?! explosa Ombre.

      La plus grande lui jeta un regard interrogateur et se tourna vers la petite fille, impuissante.

      - Elle n'a rien fait, c'est le passage qui rejetait la nouvelle, l'eau d'Alyss n'y pouvait rien, rétorqua la petite fille.

      Le Maudit se détourna du groupe et leur laissa Obscure avant de rejoindre une autre pièce.

      […]

      Un visage pâle flottait au-dessus d'Obscure. Elle se redressa en sursaut, haletante, un bout de tissus humidifié tomba de son front, puis vérifia affolée son cou, le souvenir de l'étau la hantait.
      Une petite fille la fixait avec des yeux vides. Une masse de cheveux blancs tombait sur ses épaules, la blancheur de son visage était rehaussée par une fleur rouge qu'elle avait coincé dans son oreille.
      Une autre Maudite.
      L'enfant se releva et sortit de la pièce par une porte coulissante sans rien dire.
      Obscure était couchée sur un matelas posé à même le sol. Son épaule la brûlait, elle serra les dents.
      Une fille était assoupie sur un bureau, masquée par une touffe de cheveux verts.
      Elle repoussa la couverture qui lui tenait de plus en plus chaud et tenta de se mettre debout, sans succès.

      La Maudite aux cheveux blancs revint munie de deux cannes et accompagnée d'un garçon, les cheveux ébouriffés et violets. Encore un Maudit. Alarmée par ce nombre de Maudits, Obscure eut une poussée d'adrénaline et se remit sur pieds, ses jambes tremblaient violemment et la fille s'écroula une nouvelle fois, à genoux.

      - Pourquoi tu fuis ? Depuis quand les Maudits se chassent entres eux ? ironisa la petite fille.
      - Nous ne savons pas ce qu'il s'est passé quand Cyan t'a emmenée ici, on essaye de comprendre pour le passage te rejetait. Mais pour l'instant, tu dois t'entrainer pour que tu puisses marcher à nouveau sur tes jambes, dit le garçon d'une voix plus douce que la petite fille, je m'appelle Ahmet et voici Kana.
      - Il y a beaucoup de choses que je ne comprends pas pour l'instant...murmura Obscure, les yeux baissés vers le sol.

      Kana tandis les cannes à la jeune fille, faisant mine de n'avoir rien entendu et retourna aux côtés d'Ahmet. Celui-ci jetait quelques coups d'œils inquiets vers la Maudite, affalée sur une pile de livres.

      Les heures passèrent sans qu'Obscure puisse utiliser correctement ses jambes, mais elle persévérait dans sa tâche. Des gouttes de sueur perlaient sur ses tempes et la chemise de nuit qu'on lui avait prêté était trempée, tant elle persévérait dans sa tâche.
      Elle ferma les yeux et se concentra du mieux qu'elle put.
      Le visage d'Ahmet se rembrunit et il tourna son regard vers le sol. Kana, elle, regardait la scène les yeux écarquillés. Elle serra les poings et s'avança d'un pas vif vers la fille aux cheveux rouges pour attraper la main qui serrait de toutes ses forces un bâton.
      Un sourire timide s'installa sur le visage paisible de l'enfant. Kana était devenue un pilier pour Obscure.

      […]

      Ombre était assit, comme tous les autres Maudits, sur un petit coussin ocre. Obscure était assise, elle aussi, sereinement à sa droite.
      Des dizaines de Maudits attendaient la venue de l'ancêtre. Ombre lança un regard courroucé au géant qui riait de sa grosse voix.
      Un coup sec résonna et les voix se turent. Un vieil homme venait d'entrer dans la salle, sans que personne ne l'entende et avait rappelé à l'ordre les Maudits, d'un coup de canne. Tous les regards étaient braqués sur lui.
      Il s'assit à son tour sur un coussin doré, posé au milieu du rassemblement.

      - Bonjour à tous. Comme vous le savez tous le jour de la Chasse arrive bientôt. Il n'y a plus beaucoup de Maudits encore en vie, c'est pourquoi nous devons en sauver un maximum.
      La voix du vieil était à la fois douce et forte, fluide et dure. Il fut interrompu par celle d'Obscure, froide.
      - Et que faites-vous de nous, une fois «sauvés» ?
      - Rien.

     

     


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