• Chapitre 5: L'édifice et la tour blanche


    - Nous ne faisons rien de vous. Nous ne cherchons pas à faire de toi ce que tu n'es pas. Les yeux translucides du vieil homme brillaient d'une lueur maligne, sa voix claire résonna dans la salle.
    - Comment puis-je l'être ? Pourchassés, traqués et tués: voilà à quoi se résume notre vie. Je n'ai rien, je ne suis rien. On m'a arraché un à un les seuls buts de mon existence, la voix d'Obscure tremblait.
    - Tu te trompes. Les Humains t'ont prit tous les êtres chers mais toi, tu es toujours là. Tu peux encore partager tes souffrances et tes joies avec des amis. Tu peux encore te relever et te battre pour ton destin. Tournes-toi et regarde. Kana n'a-t-elle pas été là pour te soutenir tout à l'heure ? N'as-tu pas oublié cette impression de solitude l'espace d'un instant en sa présence.
    Tout n'est pas perdu, tu dois le croire.

    - Mais comment nous battre, nous ne sommes qu'une dizaine contre des milliers!
    - Nous sommes beaucoup plus nombreux, sous terre, d'autres groupes de Maudits se cachent, se préparent. Tous, nous en apprenons chaque jour un peu plus sur notre passé.
    En ce moment même, nous enquêtons sur le passé de chaque île. Si les Humains ont commencés à nous exterminer, c'est parce qu'ils nous redoutent. Chacun dans cette salle possède un pouvoir, toi y compris, Obscure, ainsi que chaque Maudits. Actuellement, nous sommes sur l'île Brumeuse. Celle située en plein centre de tous les courants de la mer de Brumes. Nous avons remarqué que c'est uniquement sur cette île, ainsi que sur l'île de l'Ombre que sont concentrés les Maudits.
    Abysse, Kana, préparez vous à partir la semaine prochaine en direction de la capitale, je vous donnerais les informations plus tard.

    La petite fille et un géant au crâne rasé acquiescèrent. Tous les Maudits se levèrent en même temps. Alyss vint directement vers Obscure et lui lança d'un air enjoué:

    - Il est bien le vieux, hein ? On va manger, suis-moi.
    Elle l'emmena dans une autre pièces, encore plus vaste. Différentes odeurs, encore inconnues pour Obscure se mélangeaient, les murs étaient peints de nombreuses couleurs rouge, jaune, vert, bleu et donnaient un air convivial à la pièce. L'atmosphère était gaie, plaisante. De grands tapis rouges cachaient le sol, tous les Maudits s'y affalèrent et se mirent à raconter leurs aventures et leur journée. Les voix et les rires se faisaient échos. De l'autre bout de la salle, Kana et Ahmet se relayaient aux fourneaux, ces choses dont se servaient les cuisiniers. Obscure en avait déjà vu plusieurs fois dans des auberges.
    La jeune fille aperçut Ombre s'éclipser par une porte coulissante, elle abandonna Kana et partit à sa poursuite. La porte glissa lentement, une vague de lumière éblouit Obscure.
    Elle ferma rapidement la porte, bouche-bée. Un immense jardin s'offrait à elle, de grands arbres faisaient un peu d'ombre sous cette lumière éclatante, des buissons abritaient des animaux, et des papillons voletaient dans tous les sens. Ombre était assis au bord d'une grande rivière, les yeux perdus au lointain, Obscure le rejoint et s'agenouilla jouant avec l'eau clapotante.

    - Abysse et Kana sont coéquipiers, Ahmet et Alyss aussi. Je vais devoir t'aider à maîtriser tes pouvoirs, tu vas devenir mon équipière. Je ne voulais pas te ramener, je ne voulais pas être en équipe, dit Ombre.
    - Pourquoi l'avoir fait ?
    - Tu attendais désespérément le retour de ton amie.
    - Tu as perdu quelqu'un de cette manière ?
    - Ça ne te regarde pas.
    Obscure se leva, un petit sourire en coin et donna une pichenette au garçon, jusque là perdu dans ses pensées, puis le tira avec elle jusque dans la grande cuisine.

    […]

    Obscure étaient couchée sur un matelas, posé à même le sol serrant Kana dans ses bras, entourée d'Alyss.
    Ombre regarda un instant les trois filles avant d'aller dans la grande cuisine, munit de deux grands sacs à dos. Quelques instants plus tard, le garçon était prêt, les sacs remplis. Doucement, il alla réveiller son apprentie.
    Celle-ci le suivit sans comprendre, encore à moitié endormie. Il la mena jusque dans la salle où elle avait atterri la veille. Les cousins étaient toujours jetés en vrac recouvrant le sol. Ombre les enjamba et plaqua la paume de sa main contre le mur.
    La fille le regardait, effarée.
    Un cercle d'eau jaillit de nulle part et les emporta tous les deux.
    Cette fois-ci, l'étang n'essayait pas de la tuer et elle put remonter facilement. Les deux Maudits battaient des pieds pour se maintenir à la surface.
    Ombre savourait son effet de surprise, un grand sourire sur les lèvres. Obscure contemplait le paysage, ébahie. Le ciel s'était embrasé. Des volutes de flammes le recouvraient, entourant le soleil éclatant.

    - Nous allons commencer ton entrainement. Je vais tout t'expliquer en route, suis-moi.
    Nous, les Maudits, sommes craint des Humains car nous possédons des pouvoirs qui nous sont spécifiques. Je peux manipuler n'importe quelle arme.
    - Je n'ai rien de tout ça, renchérit Obscure.
    - Idiote, tu as bien remarqué que tu faisais apparaître des ronces que tu contrôlais. Je ne sais pas en quoi ton pouvoir consiste, mais une chose est sûre, c'est qu'il existe.
    - Et ensuite ? Comment comptes-tu m'apprendre à maîtriser cette chose ? Lança la Maudite, pessimiste.
    - On verra ça plus tard.

    Le vent ne soufflait plus, le ciel était dégagé. Neige et montagnes s'étendaient à perte de vue. Le chemin allait être long.

    […]

    Pénétrer la capitale serait un jeu d'enfant.
    Deux gardes étaient postés à la grande Porte.
    Une fillette aux cheveux dorés tenait la main d'un homme exagérément musclé, les deux personnages peu communs s'avançaient tranquillement.
    Un des gardes les arrêta et les examina. Il fut glacé par le regard vide qu'avait la petite et s'écarta rapidement pour les laisser passer.
    La capitale grouillait de personnes de tout genre.
    Des marchands vantaient les mérites de leurs produits, des femmes riaient bruyamment, un autre jouait d'un instrument inconnu pour la fillette.
    L'homme attrapa la gamine et l'entraina à l'écart dans une ruelle sombre, poussant de nombreuses personnes sur son passage, puis sortit une carte de sa besace.
    - On ferait mieux de passer par les ruelles, mieux vaut ne pas attirer l'attention sur nous.
    Ils continuèrent tout droit, puis longèrent à droite, le pas léger.
    La ruelle déboucha sur une place plus bondée encore que la précédente.
    Un gigantesque édifice blanc dominait tous les autres, un grand drapeau était déployé au centre. Des hommes et des femmes en uniformes y pénétraient, le regard neutre.
    A sa droite, une grande tour immaculée.
    La fillette ne prêta aucune attention à la foule qui l'entourait et se dirigea vers la tour, suivie de son compagnon.
    Des étagères remplies de livres couvraient les murs, le silence était total. On pouvait entendre le bruit des planches du parquet qui craquaient et celui des pages qu'on feuilletait.
    Le géant alla vers la première étagère et fit mine de chercher un livre tandis que la fillette se rendit à l'étage au-dessus, interdit au public.

    […]

    - Ombre, quel est le pouvoir de Kana ?
    - Elle peut changer son apparence à volonté.



    A suivre..


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    Chapitre 6 : la Montagne de l'espoir

     

    Le pouvoir de Kana ne surprit en rien Obscure, venant de cet enfant, si froide et sûre d'elle, c'était presque normal.
    - Tu as l'air de bien t'entendre avec Kana et Alyss.
    Le regard pénétrant de la jeune Maudite se posa sur Ombre, comme pour le sonder.
    - Oui. Les liens qui nous unissent aux autres sont les choses les plus importantes au monde, il ne faut pas les perdre de vue, sous peine de sombrer dans la solitude.
    Le regard du jeune homme fléchit, celui-ci eut l'air particulièrement touché par les paroles d'Obscure.

     

    - Qu'est-ce que tu insinues ? lança-t-il froidement.
    - Rien de plus que ça n'en a l'air.

    Les deux Maudits ne s'adressèrent plus la parole durant la longue journée de marche.
    Plus ils progressaient, plus la route semblait interminable. La forêt dans laquelle ils avaient pénétré la veille n'en finissait pas, comme s'ils marchaient sans avancer. Le paysage était sans cesse le même : des arbres recouverts par leur manteau de neige à perte de vue.
    Ombre avançait sans prononcer un seul mot, imperturbable.
    La nuit tombée, Obscure se désespérait de ne jamais en finir avec cette forêt, lorsqu'Ombre se décida enfin à faire une halte, afin de dormir.
    Les deux Maudits s'installèrent à l'abri d'un grand sapin, et Ombre creusa un trou dans la neige afin d'y dérouler une épaisse couverture en guise de lit.
    Ils s'installèrent aussi confortablement que le leur permettait la couverture. A travers les branches du sapin, on pouvait apercevoir les étoiles.
    Obscure, pourtant épuisée par la marche, ne pouvait s'empêcher de contempler les étoiles, fascinée par ces points lumineux, mystérieux et pourtant pleins de vie.

    - On raconte que ce sont les Fées qui illuminent le Ciel une fois la nuit tombée, comme si elles nous montraient que, même dans les moments les plus sombres, il y a toujours de l'espoir. Qu'est-ce que tu en penses ?
    - Je pense que ce ne sont que de simples étoiles, et que tu ferais mieux de dormir.
    - Tu connais leur nom ? demanda Obscure, un sourire au coin des lèvres.
    Effectivement, il connaissait le nom de chaque étoile, Electre les lui avait tous enseignés..
    - Pourquoi auraient-elles besoin d'avoir un nom ? rétorqua-t-il.
    Obscure se releva et le fixa d'un air surpris.
    - C'est évident ! Si nous n'avions pas de noms, nous ne serions plus rien.
    - Alors pourquoi es-tu restée en tant qu'Obscure, si le nom fait la personne ?
    - Simplement parce que je ne me vois pas autrement. Il fait partit de mon passé, il fait partie de moi. Et toi, pourquoi restes-tu en tant qu'Ombre ?
    Le jeune homme réfléchit un instant, et s'abandonna lui aussi aux étoiles.
    - Qui sait..


    Le lendemain, à l'aube, Ombre tira Obscure du sommeil. Il fallait reprendre la route.
    [..]

    Après deux jours pénibles de marche, les deux Maudits s'arrêtèrent aux pieds d'une montagne extraordinaire, qui se dressait devant eux, tel un titan. On aurait dit que des tours de roc s'élevaient frôler le ciel, puissantes et fragiles à la fois. Les lueurs du coucher de soleil semblaient couler doucement à sa surface comme l'eau calme d'une rivière.
    Le cœur d'Obscure s'emballa à cette vue, elle avait beaucoup voyagé durant sa vie, fuyant de village en village, mais jamais elle n'avait aperçu pareils endroits. Un nouvel univers prenait forme devant elle, et elle ne regrettait en rien sa décision de suivre Ombre. Il était certes peu loquace, mais il avait été là lorsqu'elle avait eu le plus besoin d'aide.
    Quelque chose en elle s'était réveillé à ce moment-là, quelque chose d'effrayant..
    Une colère immense s'était emparée d'elle, tous ses sens s'étaient enflammés, comme si quelqu'un d'autre prenait possession de son propre corps.
    La voix sèche d'Ombre la ramena à la réalité.

    - Ton véritable entrainement commence à partir de maintenant. Prépare toi, et surtout, n'oublie jamais les étoiles..

    Obscure le suivit sans poser de questions, il ne dirait rien de plus. Les deux Maudits se rapprochèrent de plus en plus de l'immense montagne. L'excitation ne cessait de croître dans le cœur de la jeune fille, sans pour autant connaître l'origine de ce sentiment.

     

    Au fur et à mesure de leur progression, les contours d'une porte noire et usée par le temps se dessinèrent. Ombre appuya ses deux paumes contre la grande porte et prononça un mot, inintelligible pour Obscure, puis s'écarta vivement. Les deux battants s'ouvrirent dans un atroce grincement, laissant jaillir des flots de lumière et d'éclats de rire.
    D'abord abasourdie par ce qu'elle voyait, Obscure devança Ombre sans se poser de question et s'engouffra au cœur de la montagne, le visage illuminé par un grand sourire, un sourire sincère, qui avait déserté depuis longtemps déjà.
    Des dizaines de lustres en cristal d'une taille plus que respectable ornaient le plafond de pierre noire étincelante, éclairant la salle de milliers de reflets lumineux.
    Les voix provenaient de la grande salle, des gens de toutes tailles, aux chevelures multicolores et aux yeux brillants l'animaient de leur gaieté. Des Maudits.
    Toutes ces personnes étaient des Maudits. Des centaines de Maudits s'étaient rassemblés à l'intérieur de la Montagne.
    Obscure s'avança dans la foule, le cœur battant, ne sachant plus où regarder.
    Des filles étaient assises sur le rebord d'une petite rivière qui traversait de part en part la Montagne, discutant joyeusement, comme si tout allait bien. Des marchands hélaient les passants, vantant leurs produits, des enfants jouaient en rigolant bruyamment.
    Obscure songea à Glaciale, elles auraient dû découvrir cet endroit ensemble. C'était injuste. Elle chassa cette pensée trop sombre et douloureuse de son esprit. Elle allait être heureuse, en mémoire de son amie, et réaliser les rêves qu'elles avaient autrefois.
    Le souvenir de Kana et Alyss devenait de plus en plus flou pour elle, comme si la seule chose importante était cet endroit, ce paradis dont elle avait tant rêvé.

    Derrière elle, Ombre restait silencieux et observait la jeune fille s'éloigner de lui, un étrange et désagréable sentiment d'amertume s'était emparé de lui. Il le chassa de son esprit et se perdit à son tour dans la foule, évitant les gens qui le frôlait.

    Obscure avait toujours rêvé pouvoir un jour rencontrer autant de gens comme elle, et ne plus se sentir exclue ou rejetée par les autres. C'était comme si elle vivait dans un rêve, mais ce ne pouvait en être un. Tout était tellement réel, les voix, les odeurs et même le contact avec les autres, la faisait frémir.
    Une étrange et douce mélodie résonnait entre les murs de la grande salle, plus Obscure avançait plus elle avait d'emprise sur la jeune fille. Celle-ci avança, envoûtée et émerveillée à la fois, s'enfonçant au plus profond de l'antre..

    […]

    Kana zigzaguait entre les étagères de la bibliothèque, ses pas semblaient à peine toucher le sol. Le silence était absolu. Abysse ne pouvait pas la rejoindre sans se faire apercevoir, et bientôt, il serait repéré, elle avait donc très peu de temps.
    Ses doigts frôlaient les livres, anciens et craquelés pour la plupart. L'enfant huma le parfum qui était propre aux livres de ce genre, un sourire au coins des lèvres. Elle saisit brusquement l'un d'entre eux de ses doigts fins, et le feuilleta.
    Sans succès.
    Kana répéta la même scène sur une dizaine de livres, le résultat était toujours le même. Il n'y avait rien susceptible des les intéresser. Bientôt, des cris lui parvinrent, le sol trembla sous ses pieds. Abysse avait été repéré.
    Malgré l'habitude, Kana fut saisit par la peur, la peur de se retrouver seule une fois de plus. Le genre de peur que chaque Maudit subit quotidiennement.
    La jeune fille se ressaisit et courut en direction de la sortie, quand un vieux parchemin attira son regard. Elle l'enfourna dans son sac et s'enfuit.
    Un vacarme assourdissant régnait dans la bibliothèque principale. Une étagère s'écrasa lourdement au sol, soulevant un nuage de poussière qui aveugla la plupart des humains.
    Abysse saisit un des gardes et l'envoya valser contre une seconde étagère, un immonde craquement d'os brisé suivit d'un gémissement se fit entendre.
    Pendant une seconde, tout s'arrêta, les Maudits et les Humains se jaugeant mutuellement. L'instant d'après les gardes se jetaient en groupe sur Abysse, sabres pointés dans sa direction, hurlant sous l'effet de l'adrénaline.
    Noir total.
    Silence.
    Dans l'obscurité, Kana sourit, un sourire malsain. A présent, elle se vengeait de tout ce qu'on lui avait fait subir, ce n'était que partie remise.
    Une femme cria, terrifiée par ce qui était en train de se dérouler, son cri s'étouffa lorsqu'elle buta contre une étagère et s'étala de tout son long au sol. S'ensuivirent hurlements de peur mêlés à l'incompréhension.
    Des gardes criaient d'une voix tremblante de se calmer, que tout serait maîtrisé d'une minute à l'autre.
    Abysse, que l'obscurité ne gênait en rien, se dirigea vers Kana et la prit sur ses épaules.
    Dehors, la même cacophonie régnait. Personne ne comprenait ce qui se passait.
    Les deux Maudits en profitèrent pour sortir de la bibliothèque principale, et ainsi s'enfuir.
    Leur mission était terminée.

     


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