•         Chapitre 3: Les armures noires et les chevaux hurlants


    Ombre serra les dents. Une nouvelle personne était morte pour un simple caprice des villageois qui se prétendaient respectables. Ses yeux restèrent secs, il regarda tour à tour les deux Maudites. L'une était endormie, l'autre morte.
    Il ne voulait pas annoncer la sombre nouvelle à la fille aux cheveux rouges. Son espoir s'était envolé.
    Le destin des Maudits est de mourir après tout. Ils le savent tous depuis leur naissance.
    Le garçon mit cette pensée de côté, comme toujours, et s'agenouilla devant la défunte.
    Il la prit dans ses bras, se releva et la jeta vers la fontaine.

    Quelques secondes plus tard, il se retournait vers Obscure et la saisit par la taille. Un dernière fois, il contempla la fontaine, avant de s'enfuir par les toits.

    La belle Glaciale avait prit possession de la fontaine, et siégeait au milieu de la place du village. Des dizaines d'épées entouraient le corps de glace et la protégeaient. Ses cheveux soyeux semblaient bercés par le vent, avec la cape qui dévoilait un pantalon et un tee-shirt déchirés.
    Un sourire vainqueur reposait sur son visage innocent, elle avait trouvé sa place en quelques sortes, bien qu'elle soit morte.

    ***

    Des villageois s'étaient cachés dans des coins de rues, un tout un groupe attendait à la sortie du village. Ombre eut un petit rire sombre et survola les habitations.
    Il avait prit soin d'emporter la carte du doyen. Et la lança sur l'un des humains avant de s'enfuir rapidement.
    Quelques-uns, plus rapides, tirèrent une salve de coups de feu, mais aucune des balles n'atteignit le garçon.
    Le vent soufflait de plus en plus fort, et Ombre souffla un peu en apercevant la forêt qui le couvrirait. Le kimono noir ne le réchauffait guère en ce mois de décembre mais les Maudits se sont habitués au froid, à force de voyager en plein hiver durant plusieurs jours.

    Obscure dormait toujours profondément dans les bras de Ombre. Ses rêves la menait une fois de plus vers la petite Lacie aux cheveux blonds.

    ***

    L'enfant était assise au bord d'un précipice qui tombait sur la mer agitée. Elle observait calmement les hautes vagues qui se brisaient sur les rochers pointus et imposants. Quelques mouettes dansaient dans le ciel bleu azur et piaillaient longuement. L'enfant arracha une pissenlit sur le lit de verdure et souffla sur la fleur blanche, les fines graines s'envolèrent et se laissèrent bercer par le souffle du vent
    Un grand bateau transperça majestueusement la brume, au loin. Le cœur de Lacie se mit à battre la chamade. Elle cligna plusieurs fois des yeux, les bateaux étaient devenus rares par ici.
    Elle se leva précipitamment, en manquant de trébucher et tomber de la falaise, mais ne s'en soucia guère.

    -Eh Lacie !

    Cette fois-ci, la petite tomba à la renverse et s'écroula dans l'herbe verte. La voix qui l'avait interpellée était à la fois douce et grave. Elle se releva, un peu penaude, et dépoussiéra vivement sa tunique verte. C'était Cyrha, une enfant, tout comme Lacie, sa peau brune brillait sous le soleil et ses longues tresses noires flottaient dans les airs. Ses beaux yeux noirs pétillèrent de malice et elle s'écria:

    - Toujours en train d'admirer ces pirates ?
    Lacie sourit, ravie qu'on évoque son sujet préféré et rétorqua d'une grosse voix:
    - Un jour, tu verras que je serais une grande pirate !

    Les deux filles ricanèrent ensemble et se dirigèrent vers la pointe de la falaise, c'est de ce côté qu'on peut le mieux observer la mer. Les grands oiseaux blancs qui volaient au-dessus des plaines se mirent à piailler et s'enfuirent plus loin encore.
    Aucunes des deux enfants ne se rendait compte de ce phénomène, et continuèrent gaiment leur route vers le pic. Le bateau se rapprochait de plus en plus.
    Un nuage gris vint s'interposer entre le soleil et les deux amies, comme pour les avertir d'un danger qu'elles ne voyaient pas.
    Le sol se mit à trembler violemment suivit de hennissements assourdissant. Elles sursautèrent de frayeur.
    Lacie et Cyrha jetèrent un coup d'œil vers la Cité, cachée par des haies d'arbres orangés, tout ce boucan venait de là-bas.
    Des milliers de soldats en armures noires dévalaient la colline sur leurs chevaux hurlants. Elle échangèrent un bref regard et, toutes deux, se précipitèrent vers la colline mordorée sans perdre de temps, affolées.
    Dans sa course, Lacie perdit ses sandales en cuir qu'elle n'avait pas eu le temps de fermer et s'arracha la peau sur des ronces saillantes. Elle s'écrasa dans un tas d'herbes et hurla de douleur.

    Des coups de feu résonnèrent dans leurs tympans et dans les secondes qui suivirent, la colline s'enflamma, créant un nuage de fumée qui assombrit de plus belle le paysage.
    Quelques assaillants s'enfuyaient encore de la forteresse en flammes.
    Cyrha aida son amie à se relever.
    Elles n'avaient ni vu ni entendu quoique ce soit, et même si elles n'auraient rien pu faire de toute façon, elles s'en voulaient.
    Les joues de Lacie s'enflammèrent de colère et elle poussa un juron en accélérant son allure et elle distança rapidement Cyrha, alors que sa blessure la faisait souffrir au plus haut point, mais peu lui importait, c'était à peine si elle comprenait ce qu'il se passait.
    Elle ferma les yeux et utilisa ses dernières ressources.

    Des nouveaux soldats sortaient de la cité, l'un d'entre eux repéra les deux petites filles.
    Cyrha, qui était un peu plus âgée et qui avait un sens de l'observation plus développé remarqua le soldat dans son armure noir corbeau qui les fixait et qui se dirigeait vers elles.
    Elle redoubla à son tour d'efforts pour rattraper son amie qui courrait aveuglément en tête et se placer devant elle.

    Soudainement, quelque chose vint lui attraper les pieds et elle bascula en avant. Un filet fut jeté sur le corps et resserré sur elle, en s'enfonçant dans la belle peau brune. Sous ses yeux impuissants, elle vit Lacie se faire percuter par le cheval du soldat qui les observait auparavant.

    ***

    Obscure poussa un gémissement et se débattit dans les bras d'Ombre qui l'avait transporté . Elle revint à elle en heurtant la neige qui lui glaça les membres.
    Le garçon la regardait, ses joues était rouges et ses lèvres bleues. Il ne s'intéressait pas à elle et continua nonchalamment son chemin.
    Sans comprendre quoique ce soit elle observa les alentours. Le village et la forêt de pins n'étaient nulle part, et Glaciale n'était pas avec elle.
    Il n'y avait que le garçon, des montagnes et des arbres, le tout, couvert de neige.

    Elle tenta de parler, mais seuls quelques bégaiements sortirent de sa bouche. Son corps se mit à trembler tandis que des images revenaient à elles. Même si la jeune fille ne parvenait pas à trier les évènements entres eux. Qu'est-ce qui faisait partit de son rêve ?

    Sans se retourner, Ombre prononça d'un voix grave:
    - Ton amie est morte.

    Les paillettes dorées se mirent à danser comme des feux follets dans ses yeux jaunes et sauvages. Une larme brûlante coula le long de sa joue.


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    • Chapitre 4: La Lune et l'Obscurité
       

      Obscure se releva calmement, son visage ne montrait aucune expression.
      Le voile noir de la nuit commençait à s'étendre sur les plaines enneigées, reprenant ses droits sur la nature, malgré quelques éclaboussures dorées qui résistaient.
      Quelques herbes qui persistaient sous les couches de neige se pliaient et luttaient contre l'assaut du vent destructeur.

      La jeune fille frémit. Ses lèvres se mirent à trembler sans qu'elle s'en aperçoive.
      La morsure du froid vint l'attaquer de plein fouet, comme si des centaines de crocs se plantaient dans sa chair.
      Un goût amère s'imposait dans sa bouche, ses yeux lui faisaient mal. Cette vague sensation de douleur emplissait tout son corps.

      Ombre se décida enfin à se retourner. Des larmes coulaient à flots sur les joues roses sans que la fille ne bouge. Ses yeux restaient figés sans pour autant regarder quelque chose.
      Sans broncher, le garçon se détourna de la scène et se remit en marche, vers des montagnes.
      Obscure le suivait, muette. Ses yeux étaient gonflés et rouges, mais le vent rabattait ses cheveux écarlates sur son visage.
      Les deux Maudits poursuivaient leur route sans prononcer un mot.
      Un chemin escarpé s'offrait à eux quand ils arrivèrent au pied de la montagne. Agacée, la jeune fille replia sa cape sur elle-même, se couvrant du mieux qu'elle pouvait.

      Le garçon qui marchait devant elle gardait une main sur l'étui de son sabre et jetait des petits coups d'œil furtifs aux alentours sans s'arrêter de marcher.
      L'éclat de la lune leur éclairait la route, la rendant plus facile.
      Obscure continuait sa marche de zombie et suivait le garçon sans regarder où elle allait.
      Un bruit de frottement résonna dans ses tympans et un éclair noir frôla la fille.

      Le sabre se planta dans la roche dure.
      Ombre s'approcha d'elle et la saisit une fois de plus par la taille. La portant comme un ballotin, il s'élança vers son arme et s'en servit pour se projeter dans les airs.
      Le garçon se redressa souplement et atterrit sur ses pieds, en haut de la falaise, et déposa la jeune fille.
      Les deux Maudits s'ignorèrent.

      Obscure préférait contempler le paysage. La clarté de la lune était dirigée vers un étang qui trônait paisiblement au milieu d'arbres. Des petites vaguelettes courraient sur l'eau translucide. Mais elle ne reflétait pourtant pas le rond de lumière.
      Les hululements d'un hiboux retentirent, perçant le calme de l'endroit.
      Pour la première fois depuis leur rencontre, Ombre examina la jeune fille.

      Il s'approcha d'Obscure et souleva la cape rouge, dévoilant le pentagramme noir. Des rayons de lumières surgirent de nulle part, inondant le tatouage qui luisait sur l'épaule frêle.
      La fille sursauta et arracha la main posée sur son épaule d'un coup sec.
      Le garçon lui fit un petit sourire, sans en penser autant, et la saisit par la poigne, l'entrainant vers l'étang.
      Il plongea, accompagné de l'autre Maudite.

      La jeune fille ressentit un choc en entrant en contact avec l'eau glaciale. Ombre l'attirait encore plus profondément tandis qu'elle luttait pour ne pas être aspirée vers les profondeurs.
      Un cercle de fer entoura son cou, l'étouffant et l'empêchant de remonter à la surface.
      Elle portait les mains à son cou sans réussir à faire quoique ce soit. L'eau la rejetait.
      L'étau se resserrait sur sa gorge.
      Obscure hoqueta et cracha toute sa réserve d'oxygène. Ses muscles se rétractaient, lui faisaient mal. Elle basculait.
      La jeune fille ne sentait plus ses jambes, comme paralysées.
      La douce lueur de la lune la narguait tandis que la vue de la Maudite se brouillait.
      La douleur s'estompait lentement.
      Des mains la saisirent. L'attirant inexorablement vers le fond.

      […]

      Ombre tirait Obscure vers lui. Ses bras fendaient l'eau rapidement, il prenait de la vitesse.
      Un tourbillon se dressa devant lui.
      Il s'engouffra dedans sans aucune hésitation et se fit aspirer.
      La pression était forte. Le garçon rattrapa de justesse la main de la Maudite qui s'échappait.
      D'un coup, l'eau s'évapora, laissant passer les deux Maudits. Ombre serra la fille avant de se laisser tomber. La chute ne dura qu'une poignée de secondes, avant qu'ils ne s'écroulent sur un tas de coussins.

      Trempé, le garçon se releva. Obscure était étalée sur la pile de coussins, les cheveux écarlate, emmêlés, recouvraient son visage.
      Une fille surgit brusquement de derrière une porte, accompagné d'une petite fille et d'un garçon.

      - Alyss ! Pourquoi as-tu fait ça ?! explosa Ombre.

      La plus grande lui jeta un regard interrogateur et se tourna vers la petite fille, impuissante.

      - Elle n'a rien fait, c'est le passage qui rejetait la nouvelle, l'eau d'Alyss n'y pouvait rien, rétorqua la petite fille.

      Le Maudit se détourna du groupe et leur laissa Obscure avant de rejoindre une autre pièce.

      […]

      Un visage pâle flottait au-dessus d'Obscure. Elle se redressa en sursaut, haletante, un bout de tissus humidifié tomba de son front, puis vérifia affolée son cou, le souvenir de l'étau la hantait.
      Une petite fille la fixait avec des yeux vides. Une masse de cheveux blancs tombait sur ses épaules, la blancheur de son visage était rehaussée par une fleur rouge qu'elle avait coincé dans son oreille.
      Une autre Maudite.
      L'enfant se releva et sortit de la pièce par une porte coulissante sans rien dire.
      Obscure était couchée sur un matelas posé à même le sol. Son épaule la brûlait, elle serra les dents.
      Une fille était assoupie sur un bureau, masquée par une touffe de cheveux verts.
      Elle repoussa la couverture qui lui tenait de plus en plus chaud et tenta de se mettre debout, sans succès.

      La Maudite aux cheveux blancs revint munie de deux cannes et accompagnée d'un garçon, les cheveux ébouriffés et violets. Encore un Maudit. Alarmée par ce nombre de Maudits, Obscure eut une poussée d'adrénaline et se remit sur pieds, ses jambes tremblaient violemment et la fille s'écroula une nouvelle fois, à genoux.

      - Pourquoi tu fuis ? Depuis quand les Maudits se chassent entres eux ? ironisa la petite fille.
      - Nous ne savons pas ce qu'il s'est passé quand Cyan t'a emmenée ici, on essaye de comprendre pour le passage te rejetait. Mais pour l'instant, tu dois t'entrainer pour que tu puisses marcher à nouveau sur tes jambes, dit le garçon d'une voix plus douce que la petite fille, je m'appelle Ahmet et voici Kana.
      - Il y a beaucoup de choses que je ne comprends pas pour l'instant...murmura Obscure, les yeux baissés vers le sol.

      Kana tandis les cannes à la jeune fille, faisant mine de n'avoir rien entendu et retourna aux côtés d'Ahmet. Celui-ci jetait quelques coups d'œils inquiets vers la Maudite, affalée sur une pile de livres.

      Les heures passèrent sans qu'Obscure puisse utiliser correctement ses jambes, mais elle persévérait dans sa tâche. Des gouttes de sueur perlaient sur ses tempes et la chemise de nuit qu'on lui avait prêté était trempée, tant elle persévérait dans sa tâche.
      Elle ferma les yeux et se concentra du mieux qu'elle put.
      Le visage d'Ahmet se rembrunit et il tourna son regard vers le sol. Kana, elle, regardait la scène les yeux écarquillés. Elle serra les poings et s'avança d'un pas vif vers la fille aux cheveux rouges pour attraper la main qui serrait de toutes ses forces un bâton.
      Un sourire timide s'installa sur le visage paisible de l'enfant. Kana était devenue un pilier pour Obscure.

      […]

      Ombre était assit, comme tous les autres Maudits, sur un petit coussin ocre. Obscure était assise, elle aussi, sereinement à sa droite.
      Des dizaines de Maudits attendaient la venue de l'ancêtre. Ombre lança un regard courroucé au géant qui riait de sa grosse voix.
      Un coup sec résonna et les voix se turent. Un vieil homme venait d'entrer dans la salle, sans que personne ne l'entende et avait rappelé à l'ordre les Maudits, d'un coup de canne. Tous les regards étaient braqués sur lui.
      Il s'assit à son tour sur un coussin doré, posé au milieu du rassemblement.

      - Bonjour à tous. Comme vous le savez tous le jour de la Chasse arrive bientôt. Il n'y a plus beaucoup de Maudits encore en vie, c'est pourquoi nous devons en sauver un maximum.
      La voix du vieil était à la fois douce et forte, fluide et dure. Il fut interrompu par celle d'Obscure, froide.
      - Et que faites-vous de nous, une fois «sauvés» ?
      - Rien.

     

     


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